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Gens du vieux rêve – Le « môle-abri », une virgule sur l’horizon du Port de Moguériec…
Printemps 1881
7 canots sont amarrés dans le « Koz Kanol », ce « vieux canal » qui s’aventure dans les entrailles de Moguériec :
• L' »Anne-Marie » de Louis Quéré (1,30 tonneaux – n° 801 – construit à Roscoff en 1871)
• La « Confiance en Dieu » de Jean-Marie Béganton (2.02 tonneaux – n° 1078 – construit à Saint-Yves en 1880)
• L' »Espérance » de Jean-Marie Abjean (1.97 tonneaux – n° 968 – construit à Carantec en 1877)
• La « Félicie » de Louis Le Goff (3.33 tonneaux – n° 687 – construit à Carantec en 1867)
• Le « Sacré-Coeur » de Gabriel Tanguy (2.27 tonneaux – n° 1030 – construit à Sibiril en 1879)
• Le « Goéland » d’Yves Tanguy (0.86 tonneau – n° 920 – construit à Plouescat en 1870)
• La « Marie-Anna » de Guy Tanguy (2.27 tonneaux – n° 756 – construit à Roscoff en 1868)
De valeureux Marins-Pêcheurs de Moguériec…ou d’ailleurs !
Et tandis que la mer monte et s’engouffre déjà au-delà de Roc’h Katell, ça cause fort sur la dune… Il y a de la jasette dans l’air tandis que les solides Marins-Pêcheurs de Moguériec ramendent leurs filets de chanvre :
LOUIS : « On a c’qu’il faut en « menusse » (petites crevettes d’1,50 cm qui servaient d’appât pour la pêche à la sardine), on est allé hier à marée basse avec Jean-Marie. Dans l’eau jusqu’au coup, avec un filet de 5 mètres on avait fait une sorte de chaussette nouée qu’on avait amarré sur une barre transversale. On tenait chacun un manche et on a raclé le fond de sable. On a c’qu’il faut j’vous dis, on peut embarquer ! »
JEAN-MARIE B. : « Pareil pour la rogue (œufs de morue), j’ai fait la « bouillie » en la mélangeant avec de la farine d’arachide, c’est tout bon ! »
GABRIEL : « Eh Yves, c’est un canot de pêche le « Goéland » ou une bouteille de rouge ? Quand t’es dedans on voit plus le bateau ! »
YVES : « Couillon va ! N’empêche qu’à la marée montante d’hier soir, ma bouteille de rouge comme tu dis, j’l’ai mise bout au vent et au courant derrière Arkel. Tout doucement à l’aviron, j’ai mouillé mon filet de 18 brasses derrière le bateau et je l’ai gardé bien aligné et bien perpendiculaire à la surface. J’avais mis de la « bouillie » sur la corde des flotteurs et quand les sardines ont commencé à remonter du fond et à bouillonner à la surface, comme elles venaient de gauche, j’ai jeté la « menusse » à droite du filet…et là « carton plein » ! C’est toi qui m’doit une bouteille de rouge !!! »
GUY : « N’empêche qu’il y a trop de monde à venir pêcher dans la Baie. Y viennent de Cléder, de Plouescat, de Santec, même de Douarnenez… Faudra pas s’plaindre quand on aura tué la ressource. Heureusement qu’il y a la langouste l’hiver pour se rattraper… T’imagines, 124 bateaux l’autre jour il y avait sur l’eau ! Y’a plus une place à Sieck, on est obligé de se mettre à Moguériec. Remarque, ça nous arrange, on habite là, mais quand même, faut aller à Sieck pour décharger. On a même pas une cale ici pour protéger les bateaux de la houle et à chaque coup de vent on ramasse ! Moi s’ils payent les pierres et le ciment, j’suis prêt à m’faire maçon pour la monter la cale ! Peut-être même qu’on pourrait lancer une souscription pour les aider à la payer ! »
YVES : « Vous avez entendu pour Deschamps (Léopold Deschamps fit construire la conserverie sur l’Île de Sieck en 1864) ? Paraît qu’on pêche moins de sardines depuis quelques années et que le bonhomme a continué à dépenser des sous… Il a construit une autre conserverie du côté de Lannion, il s’est payé un 13 tonneaux qui porte son nom (Le « Léopold ») pour approvisionner ses usines, il a financé une partie du môle de l’Île de Sieck… Trop de sous dehors, j’vous l’dis moi, ça va pas durer… Et si Deschamps « met le goémon sur la dune » (ou la cabane sur le chien, la clé sous la porte…), y’a 100 familles qui r’tombent dans la misère ! Avec ce qui s’prépare, tu l’auras jamais ta cale ! Ça sert à rien de protéger les bateaux si tu retournes au « Maner » (Ferme de Moguériec) ramasser des pommes de terre ! »
On mérite ça les gars avec tout c’qu’on trime, les femmes elle s’raient fières, les gamins, ils s’raient bien habillés… Not’ vieux rêve à nous, pour dans longtemps, pour l’éternité et même après !
JEAN-MARIE A. : « Paraît que Du Rusquec (Henri Lestang du Rusquec fut Maire de Sibiril) il a déjà fait des plans pour la cale… C’est mon rêve ça ! Voir le « Koz Kanol »devenir un vrai port, avec un vrai môle-abri, avec des bateaux de 20 tonneaux ! On mérite ça les gars avec tout c’qu’on trime, les femmes elle s’raient fières, les gamins, ils s’raient bien habillés, ils auraient des « boutou ler » plutôt que des « boutou coat » (des chaussures en cuir plutôt que des sabot de bois)…et puis on mettrait un bistrot sur la dune ! Et puis nos bateaux on les passerait de générations en générations, on inventerait du rêve maritime, not’ vieux rêve à nous, pour dans longtemps, pour l’éternité et même après ! »
« Gens du vieux rêve » – L’Enquête
8 Juillet 1881 : oui pour le môle-abri, mais qui va payer ?
Les Marins-Pêcheurs le veulent ce « môle-abri », la Mairie soutient la demande, le Ministère des Travaux Public y est favorable…mais cela coûte 4500 Francs tout de même, alors qui va payer quoi ?
Le 8 Juillet 1881, le Ministère des Travaux Publics s’adresse au Sous-Préfet de Brest :
« Suivant les conclusions du rapport de Monsieur l’Ingénieur en Chef, je vous pris de vouloir bien prendre l’avis du Conseil Municipal sur le chiffre de la participation de la Commune à la dépense du projet évalué à 4500 Francs« .
24 Juillet 1881 : 100 Francs pour payer le môle-abri !
Le 24 Juillet 1881, le Conseil Municipal de Sibiril vote un budget de 100 Francs pour la construction du môle-abri…et lance une souscription publique dont il espère retirer 20 Francs.
10 Janvier 1882 : hum…le Conseil Général verrait bien la Commune de Sibiril payer un peu plus !
Le 10 Janvier 1882, le Ministre des Travaux Publics adresse un courrier au Préfet du Finistère…
Une bonne nouvelle ! La cause semble entendue, il y a nécessité de construire ce môle-abri :
» Cette anse sert de refuge à une douzaine de bateaux de pêche qui alimentent un établissement crée dans le voisinage pour la presse des sardines. Elle est abritée contre l’action directe des lames du large. Il s’y produit un ressac violent quand la mer est grosse, et la jetée projetée y déterminera un calme relatif, en arrêtant la propagation des lames qui se brisent sur les rochers ».
Une moins bonne nouvelle… Il est proposé que la Commune de Sibiril supporte une charge de 750 Francs, ce qui est loin de ses possibilités et des 100 Francs votés l’année précédente !!!
19 Mars 1882 : « nous sommes pauvres et cela ne va pas être possible, merci de faire quelque chose pour nous ! »
Le 19 Mars 1882, le Conseil Municipal de Sibiril fait valoir ses arguments :
« Considérant que la jetée projetée serait très utile pour les pêcheurs de la Commune, mais que la même Commune de Sibiril est excessivement pauvre et ne peut faire aucun sacrifice nouveau sur cet article. Par conséquent, la Commune accorde et vote pour le projet en question la somme de 100 Francs et est certaine que la souscription promise par les pêcheurs, bien qu’ils soient indigents, donnera 20 Francs. Le Conseil, voyant que les ressources de la Commune ne lui permettent pas d’agir autrement prie Monsieur le Ministre et Monsieur le Préfet d’avoir la bonté de faire quelque chose sur la jetée projetée suivant leur volonté ».
8 Mai 1882 : tu payes pas ? T’auras pas !
Gens du vieux rêve…rendormez-vous sur vos espérances, votre labeur, votre vie de misère, votre bistrot sur la dune…
Le 8 Mai 1882, le Conseil Général fait savoir à la Mairie de Sibiril…qu’il ne sera pas donné suite à sa demande du fait de son incapacité financière ! Le poil des « Mogueriekiz » se hérisse…
« Le Conseil Général, saisi de la question, a décidé dans sa session d’Avril que la Commune ne réalisant pas la part de subvention qui lui incombe dans l’exécution des travaux, il ne sera pas donné suite à la demande qu’elle a formulée ».
La « Flotte » des « Mogueriekiz » amarrée dans l’anse de Porzic Ar C’here
Printemps 1894
11 canots sont amarrés dans le « Koz Kanol », ce « vieux canal » qui s’aventure dans les entrailles de Moguériec :
• L' »Amitié » d’Allain Tanguy (3.92 tonneaux – n° 1691 – construit en 1893, chantier inconnu)
• L' »Anne-Marie » de Victor Quéré (1.47 tonneaux – n° 1328 – construit à Roscoff en 1890)
• L' »Espérance » de Mathurin Béganton (2.72 tonneaux – n° 1230 – construit à Carantec en 1890)
• Les « Six Frères » de Gabriel Tanguy (2.73 tonneaux – n° 1354 – construit à Roscoff en 1891)
• La « Confiance en Dieu » de Pierre-Yves Nédélec (2.02 tonneaux – n° 1078 – construit à Saint-Yves en 1880)
• Le « Saint-Joseph » de Jean-Marie Béganton (3.69 tonneaux – n° 1319 – construit à Carantec en 1890)
• La « Providence » de Paul Grall (1.99 tonneaux – n° 1238 – construit à Roscoff en 1889)
• L' »Espérance » de Jean-Marie Abjean (3.04 tonneaux – n° 1303 – construit à Henvic en 1880)
• La « Jeannie » de Désiré le Goff (2.64 tonneaux – n° 1387 – construit à Henvic en 1893)
• Le « Courbet » de Jean Tanguy (2.65 tonneaux – n° 1272 – construit à Roscoff en 1888)
• La « Jeanne d’Arc » de Yves Tanguy (2.72 tonneaux – n° 1273 – construit à Henvic en 1888)
Et tandis que la mer monte et s’engouffre déjà au-delà de Roc’h Katell, ça cause fort sur la dune… Il y a de la jasette dans l’air tandis que les solides Marins-Pêcheurs de Moguériec ramendent leurs filets de chanvre :
GABRIEL : « Alors les gamins, on a oublié de se lever ? Non mais regardez moi ça, Victor Quéré, Désiré Le Goff et Jean Tanguy à la traînaille… Si vos pères vous voyaient arriver à c’te heure ! Et après y disent qu’y sont patrons… »
JEAN-MARIE B. : « Remballe Gabriel, ils sont courageux, à leur âge on n’avait pas ce qu’ils ont, ni toi quand t’as démarré comme matelot avec ton père sur la « Marie-Anna », ni moi quand j’ai démarré avec le Louis, le père à Désiré sur la « Félicie ». Avec ma vieille « Félicie » qui datait de 1869 et les 2.27 tonneaux de ta « Marie-Anna », ça valait pas l' »Anne-Marie » que Victor a fait construire à Roscoff y’à 4 ans, la « Jeannie » que Désiré a fait construire à Henvic l’année dernière et le « Courbet » que Jean a repris ! »
JEAN-MARIE A. : « Gaste, c’est vrai qu’en 10 ans, la flottille de Moguériec s’est bien renouvelée. Y’a les bateaux neufs qui sortent de Roscoff, de Carantec, d’Henvic, de Saint-Yves, des bateaux plus grands, plus lourds, les vieux qui ont arrêté, Louis Le Goff, Guy Tanguy, les gamins qui ont repris… La roue tourne ! Gabriel, t’inquiètes, tu seras toujours le deuxième inscrit maritime après ton père à Moguériec, ton nom restera dans l’histoire !!! »
GABRIEL : « M’en fout pas mal de l’histoire, ici personne n’est d’ici ! On a tous échoués ici parce qu’on venait ici pour pêcher, qu’on s’est mis à l’abri dans le Koz-Kanol et qu’on est restés là habiter… On vient tous de l’Ouest faire la « Conquête de l’Est » à Moguériec ! Regarde toi, t’es de l’Aber-Wrac’h, toi t’es de Plouguerneau, toi de Kerlouan. Le seul qu’était d’ici, c’était le premier pêcheur de Moguériec, Joseph Postec y s’appelait. Un sacré bonhomme ! En 1869, il ramasse à la grève une vieille épave de 1.02 tonneaux, il la retape, et avec sa « Céline » il va faire la pêche pendant deux ans… Et en plus quand je dis qu’il était d’ici, il était né à Cléder, alors… »
VICTOR : « Hé, Père Gabriel, pourquoi ton bateau y s’appelle les « 6 frères » ? »
GABRIEL : « Ah, ça gamin, justement c’est le fond de la gamelle de l’histoire d’ici… Avant, y’avait rien à Moguériec, une ferme à Kérivoas, une autre à Kéraval et des dunes partout. On raconte dans les parlures des soirs, qu’il n’y avait que les « Béganton » et les « Tanguy » ici. Les « Beganton » ils avaient 6 filles et les « Tanguy », 6 gars. Les dunes étaient pas bien grandes et les « Tanguy », ils ont vite trouvé les « Béganton ». Chacun a eu sa léonarde et chacune, son pêcheur. C’est comme ça que les chaumières ont commencé à se planter là et à fumer ! »
DÉSIRÉ : « En attendant, nos canots, ils ramassent toujours les paquets de mer à Koz-Kanol ! Ces Messieurs du Conseil Général, ils ont jamais voulu croire Du Rusquec qui disait que la Commune était trop pauvre pour se payer toute seule un môle-abri… Pas d’sous, pas d’embarcadère ! Bah, pas de bateau, pas de poisson, tu mangeras du cochon ! »
JEAN : « Ils ont expliqué que comme Deschamps avait mis la sardine dans son chapeau (ou la clé sous la porte, la cabane sur le chien…), les bateaux allaient pas rester et que c’était pas la peine de faire des frais. Mais la sardine, elle est pas partie avec Deschamps, y’en a toujours, et on pêche pas que la sardine non plus. Qu’est-ce que j’fais moi avec mes raies, mes congres, mes langoustes, j’les débarque où ? Et après j’mets mon canot à Naod-An-Neac’h et je dois attendre huit jours pour le redescendre ? »
On mérite ça les gars avec tout c’qu’on trime, les femmes elle s’raient fières, les gamins, ils s’raient bien habillés… Not’ vieux rêve à nous, pour dans longtemps, pour l’éternité et même après !
YVES : « Du Rusquec il a dit que cette année, il remettait ça avec l’Administration ! Il a fait des plans propres au crayon, il a calculé tout sur des devis… Il est parti sur 40 mètres pour le môle-abri, tout en pierres sèches, et tout fait avec des gars d’ici pour pas qu’on nous mette des bâtons dans les roues et que ça coûte trop cher non plus… »
ALLAIN : « Il a même dit qu’il pouvait payer un peu de sa poche ! C’est humanitaire qu’il a dit… »
MATHURIN : « Moi, y’ deux choses qui m’embêtent là-dedans… D’abord 40 mètres, c’est trop court, l’eau va taper sur le môle-abri, elle va le contourner et arriver sur les bateaux quand même. Et pis, les pierres sèches, pfff ! A la première grande marée, on pourra aller les ramasser toutes mouillées sur le banc de sable ses pierres sèches… »
PIERRE : « J’ai dans l’idée que tout ça, ça va monter au Ministère et qu’à Paris, ils vont bien rigoler de nous ! Les plans au crayon de Du Rusquec, tu va voir ce qu’ils vont en faire… Ils vont vouloir, du beau, du cher, du moderne ! Vaut mieux qu’on achète de la chaîne pour les corps-morts, on n’est pas rendu avec ces souliers vernis ! »
JEAN-MARIE B. : « Bon, les gamins, c’est pas qu’on s’ennuie avec vous, mais nous on a du coaltar à faire et on n’a pas des chaloupes nous, on a des vrais canots, alors faites place aux anciens, ouste ! »
29 Juillet 1894 : les affaires reprennent !!!
Plus personne n’en parlait…et pourtant !
Le Conseil Municipal de Sibiril réuni le 29 Juillet 1894 réaffirme la nécessité de construire le môle-abri et évoque même la possibilité d’utiliser cette cale pour l’exportation des produits « de la contrée »… La Commune étant démunie de ressources, le Conseil Municipal « exprime le vœu que les travaux projetés soient réalisés à moindre frais »…
23 Septembre 1894 : enfin des plans et un devis ! Ce sera toujours moins cher si on le fait nous-mêmes…
Le 23 Septembre 1894, le Conseil Municipal de Sibiril prend connaissance des plans et devis établis par Monsieur Guéguen, Conducteur des Ponts-et-Chaussées pour la construction d’une cale au Koz-Kanol…. 40 mètres de long, 4 mètres de haut, 4 mètres de large pour un montant de 1400 Francs !
Le bon sens des Mogueriekiz est à l’oeuvre ! Monsieur Du Rusquec, Maire de Sibiril, fait remarquer que « ces travaux répondent à un besoin réel et l’évaluation en est suffisdante, à condition d’être autorisé à traiter de gré à gré avec les ouvriers et les manœuvres du pays. Tandis que si on avait recours aux gens de l’art, les dépenses seraient triplées ».
Pour la beauté d’une signature d’autrefois…
25 Septembre 1894 : la générosité d’un homme…
A l’issue de son Conseil Municipal et comprenant la difficulté de financement du môle-abri, Henri L’Estang Du Rusquec prend sa plume et s’adresse au Préfet du Finistère :
« J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me faire connaître si je pourrais être autorisé à diriger moi-même, avec les ouvriers de mon choix, les travaux de construction d’une cale et d’un débarcadère devant l’anse du Vieux-Port, attendu que je m’engage à supporter, à mes propres frais, les dépenses occasionnées par cette oeuvre humanitaire ». Je sais par expérience, que s’il faut avoir recours aux gens de l’art, ceux-ci font tripler les frais que l’on aurait autrement ».
Noblesse et élégance…
Le 27 Septembre 1894, d’une fine écriture, le Préfet du Finistère annote le courrier d’Henri L’Estang Du Rusquec :
« Vu et propose de communiquer à Monsieur l’Ingénieur en Chef des Ponts-et-Chaussées ce projet signalé comme bien utile. Il y aurait lieu de profiter le plus tôt possible de l’offre de Monsieur Du Rusquec… »
24 Octobre 1894 : de quoi parle t-on vraiment ?
Les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées Le Berre (Ingénieur Ordinaire) et Considère (Ingénieur en Chef) tracent de bien jolies esquisses du môle-abri qui pourra, un jour peut-être, jaillir de la dune…
Le rapport de l’Ingénieur Ordinaire Le Berre est une mine d’informations… Il détaille les caractéristiques de la construction certes, mais surtout, il décrit l’activité du Port de Moguériec en 1894…
« Orienté de l’Ouest à l’Est, l’ouvrage aurait 45 mètres de longueur et 3 mètres de largeur en couronne, le corps du môle serait en maçonnerie à pierres sèches avec talus à 2 pour 1 du côté du large et à 45° vers l’intérieur du port. A son extrémité avancée, il se terminerait par un musoir maçonné avec mortier de ciment et fondé au niveau de la mi-marée ».
« Le Vieux-Port dit de Moguériec, situé à l’embouchure du Guillec sur la rive gauche de cette rivière, abrite et sert d’attache à 12 bateaux de pêche jaugeant les uns 2,5 tonneaux, les autres 4 tonneaux, leur équipage se compose de 3 hommes et d’un mousse, ces bateaux sont occupés toute l’année à la pêche de la sardine en été, des crustacés, congres, raies etc…en hiver ».
« Pendant la période d’été et en morte-eau, les bateaux trouvent un excellent abri dans ce petit port. Mais en hiver, dans les marées de vive-eau et par vent de Nord au Nord-Ouest, la mer passe par dessus les roches qui forment la pointe Est de Moguériec et rend impossible la tenue des bateaux dans leur mouillage habituel, leur cause souvent des avaries graves et les oblige à se mettre pendant plusieurs jours au sec dans le fond de l’anse. Le môle projeté qui servirait de brise-lames ne pourrait qu’améliorer cette situation ».
L’Ingénieur Ordinaire Le Berre achève son rapport, il le transmet à l’Ingénieur en Chef Considère qui le relit et l’adresse au Ministre des Travaux Publics :
« Nous sommes d’avis qu’il y a lieu de prendre en considération la demande du Conseil Municipal de la Commune de Sibiril et de soumettre le projet du môle à construire à l’autorisation de Monsieur le Ministre des Travaux Publics »…
13 Décembre 1894 : une réponse ministérielle inattendue…
Si près du but…et pourtant ! Le 13 Décembre 1894, le Ministre des Travaux Publics répond à l’Ingénieur Chef Considère… Entre les lignes, il faut lire : « le môle-abri est nécessaire, mais que les Mogueriekiz continuent à pêcher du poisson tandis que les vrais professionnels de la construction que nous sommes s’occupent de reprendre les choses en mains ! »
Le souhait de Monsieur Du Rusquec de superviser les travaux et d’embaucher des « manœuvres du pays » a du plomb dans l’aile… Il faut tout reprendre depuis le début et établir un avant-projet régulier. On ne va jamais s’en sortir… Et pendant ce temps-là, on ramende toujours les filets sur les dunes de Beg-Ar-Rest…
Printemps 1896
11 canots sont amarrés dans le « Koz Kanol », ce « vieux canal » qui s’aventure dans les entrailles de Moguériec :
• L' »Amitié » d’Allain Tanguy (3.92 tonneaux – n° 1691 – construit en 1893, chantier inconnu)
• L' »Anne-Marie » de Louis Quéré (1.47 tonneaux – n° 1328 – construit à Roscoff en 1890)
• L' »Espérance » de Mathurin Béganton (2.72 tonneaux – n° 1230 – construit à Carantec en 1890)
• Les « Six Frères » de Gabriel Tanguy (2.73 tonneaux – n° 1354 – construit à Roscoff en 1891)
• La « Confiance en Dieu » de Pierre-Yves Nédélec (2.02 tonneaux – n° 1078 – construit à Saint-Yves en 1880)
• Le « Saint-Joseph » de Jean-Marie Béganton (3.69 tonneaux – n° 1319 – construit à Carantec en 1890)
• La « Providence » de Paul Grall (1.99 tonneaux – n° 1238 – construit à Roscoff en 1889)
• L' »Espérance » de Jean-Marie Abjean (3.04 tonneaux – n° 1303 – construit à Henvic en 1880)
• La « Jeannie » de Désiré le Goff (2.64 tonneaux – n° 1387 – construit à Henvic en 1893)
• Le « Courbet » de Jean Tanguy (2.65 tonneaux – n° 1272 – construit à Roscoff en 1888)
• La « Jeanne d’Arc » de Yves Tanguy (2.72 tonneaux – n° 1273 – construit à Henvic en 1888)
Et tandis que la mer monte et s’engouffre déjà au-delà de Roc’h Katell, ça cause fort sur la dune… Il y a de la jasette dans l’air tandis que les solides Marins-Pêcheurs de Moguériec ramendent leurs filets de chanvre :
PIERRE : « Ho, Gabriel ! Tu sais la dernière ? L’Ingénieur Ordinaire, il veut faire un môle-abri de 53 mètres tout maçonné… Il va faire péter les compteurs çui-là, Roc’h Katell va rentrer sa tête dans c’te sable ! Et il est tout fier le bonhomme de raconter partout que ça va coûter 10 000 Francs… Une vraie langouste pas fraîche ! Avec les gars on l’a fait boire au Ty Ruz, il était rond comme un poisson-lune et y gueulait partout que c’était du gâchis de mettre autant de sous pour des vulgaires barques de pêcheurs à la ligne ! T’entends ça Gabriel ? On te l’a remis sur sa charrette, à l’heure qu’il est, il doit remonter le Guillec à la nage… »
GABRIEL : « C’est pas bon pour nous ça, Pierre ! Quand le Ministre va voir la facture, il voudra jamais signer ça et il va nous laisser nous démerder avec la houle qui bousille nos canots, tu verras… On l’aura jamais not’ débarcadère ! Et ta nouvelle péniche, ça avance ? »
On mérite ça les gars avec tout c’qu’on trime, les femmes elle s’raient fières, les gamins, ils s’raient bien habillés… Not’ vieux rêve à nous, pour dans longtemps, pour l’éternité et même après !
PIERRE : « On a posé la quille hier à Henvic, ça va être un sacré balèze de canot ! J’vais t’y mettre une épaisseur de bande molle, plus besoin de môle après ça, tu verras… J’ai gravé le nom sur la première membrure, « Confiance en Dieu », comme l’autre, ça porte malheur de changer de nom ! Et le tien, il pousse ? »
GABRIEL : « Il est à Roscoff le mien… Et pour pousser il pousse, il pousse les murs du chantier surtout, 4,89 tonneaux quand même, un vrai monstre ! Tes histoires de noms qui faut pas changer c’est des histoires de bigotes tout ça… Moi, j’ai envie de lui donner un nom d’oiseau, mais quand j’ai dit ça au Chantier, les gars ils ont rigolé et ils m’ont dit qu’avec le ventre qu’il avait, j’avais plus qu’à l’appeler la « Bernache » ! J’vais les prendre au mot… »
7 Juillet 1896 : on s’y remet les gars, cette fois ce sera peut-être la bonne !!!
18 mois de réflexion, de maturation, d’administration… Le 11 Août 1896, les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées produisent un nouveau projet conforme aux dispositions ministérielles de Décembre 1894. Le chiffrage est revu (conforme veut dire plus cher…), la structure du môle-abri évolue également…
« L’abri sera constituée par une jetée en matériaux pierreux, moëllons bruts de toutes dimensions, galets, débris de carrière bien purgés de terre de 3 mètres de largeur en crête (…) appuyée à son extrémité sur un musoir en maçonnerie de ciment (…), le tout ceinturée par deux murs qui préviendront la séparation des pierres et des maçonneries. Ces dispositions sont celles adoptées au môle de l’Ile de Sieck… »
Elle est bien loin la jetée de pierre sèche imaginée par Monsieur Du Rusquec ! Des pierres sèches il y en aura, mais elles seront ceinturées par une structure en ciment imaginée par l’Ingénieur Ordinaire :
Le budget n’est plus le même non plus… La « coque » de ciment coûte cher, même si on économise sur la qualité du remblai ! On arrive tout de même à un budget de 4200 Francs…
« Les ressources de la commune sont trop faibles pour que l’on puisse compter sur quelque subvention de ce côté, mais avec les 1400 Francs offerts par Monsieur Du Rusquec, la participation de l’Etat ne serait somme toute que de 3500 Francs… »
Mais les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées émettent une objection…de taille ! Le môle-abri sera trop court !!!
« A notre avis, la longueur de 40 mètres est absolument insuffisante pour donner un abri de quelque utilité. L’ouvrage ainsi fixé ne protège le mouillage du vieux port que contre les vents du Noroît et du Nord, même dans ce cas serait-il fort à craindre que la lame insuffisamment dirigée sur une distance trop faible, ne revienne troubler le mouillage après avoir contourné le même au lieu de se trouver rejetée vers le lit du Guillec… »
Les Marins-Pêcheurs de Moguériec ont été consultés « séparément »…
« Les Marins-Pêcheurs interrogés séparément par nous sur la limite où devrait s’arrêter la jetée pour être d’une efficacité bien certaine, nous ont tous donné des indications conduisant à un ouvrage (…) de longueur toujours comprise entre et 50 et 53 mètres… »
La dépense est considérable puisqu’elle avoisine alors les 10 000 Francs ! Et les Mogueriekiz s’étouffent dans leurs barbes quand ils entendent l’Ingénieur Ordinaire déclarer :
« On peut se demander si la dépense ne serait pas un peu élevée en regard des intérêts en jeu, étant donné que l’anse de Moguériec ne sert guère qu’à l’échouage de quelques barques de pêche qui, même en cas de très gros temps peuvent toujours trouver refuge au fond de la baie, au prix il est vrai d’une immobilisation de quelques jours… »
C’est pas gagné… Que va en penser le Ministère de Travaux Publics ?
3 Septembre 1896 : tout ça pour ça…cela ne nous regarde pas…faites comme vous voulez !
Le 3 Septembre 1896, étonnante réponse que celle du Ministère des Travaux Publics… Après avoir tenté de reprendre la main sur le projet de môle-abri en Décembre 1894, après 18 mois de nouvelles études, devant le coût des travaux, le Ministère des Travaux Publics…se désengage du projet et le remet entre les mains et les moyens financiers de la Commune ! Une lecture délicieuse pour celles et ceux que la science administrative passionne…
18 Septembre 1896 : caramba, encore râté !!! Il faut avertir le Maire de Sibiril…que son projet prend à nouveau l’eau !
Le 18 Septembre 1896, Monsieur Du Rusquec, n’en pouvant plus d’attendre, demande à Monsieur le Préfet des renseignements au sujet de la décision ministérielle. Les « services », sollicités pour construire une réponse argumentée, s’agitent et l’Ingénieur en Chef Considère prend sa plus belle plume…
« Les termes de cette décision me semblent très nets, elle n’approuve en principe aucun projet, mais autorise la Commune à dresser un avant-projet régulier des travaux qu’elle désire exécuter, en lui laissant toute latitude à ce sujet… »
Avant-projet qui devra ensuite être communiqué à l’Administration pour examen et approbation, avant ouverture des conférences réglementaires… La Commune de Sibiril peut s’inspirer du précédent projet… On en reprend pour 5 années de misère ! Et pendant ce temps-là, on ramende toujours les filets sur les dunes de Beg-Ar-Rest…
Printemps 1901
10 canots sont amarrés dans le « Koz Kanol », ce « vieux canal » qui s’aventure dans les entrailles de Moguériec :
• L' »Amitié » d’Allain Tanguy (3.92 tonneaux – n° 1691 – construit en 1893, chantier inconnu)
• L' »Anne-Marie » de Louis Quéré (1.47 tonneaux – n° 1328 – construit à Roscoff en 1890)
• L' »Espérance » de Mathurin Béganton (6.17 tonneaux – n° 2110 – construit à Carantec en 1899)
• L' »Anne-Louise » de Jean Tanguy (6.49 tonneaux – n°2111 – construit à Carantec en 1900)
• La « Confiance en Dieu » de Pierre-Yves Nédélec (7.36 tonneaux – n° 1997- construit à Henvic en 1896)
• Le « Saint-Joseph » de Jean-Marie Béganton (3.69 tonneaux – n° 1319 – construit à Carantec en 1890)
• La « Bernache » de Gabriel Tanguy (4.89 tonneaux – n° 1882 – construit à Roscoff en 1896)
• Le »Notre-Dame d’Espérance » de Guy Abjean (4.91 tonneaux – n° 2117 – construit à Henvic en 1900)
• La « Lucie-Marie » de Marie-Joseph Coffec ( 1.31 tonneaux – n° 2096 – construit à Carantec en 1899)
• La « Jeanne d’Arc » de Yves Tanguy (5.17 tonneaux – n° 2066 – construit à Carantec en 1899)
Et tandis que la mer monte et s’engouffre déjà au-delà de Roc’h Katell, ça cause fort sur la dune… Il y a de la jasette dans l’air tandis que les solides Marins-Pêcheurs de Moguériec ramendent leurs filets de chanvre :
JEAN : « Cette fois c’est plus possible, moi j’leur colle une pétition à la Préfecture ! Vous savez c’qu’ils ont eu le culot de me dire ? Gnagnagna…Monsieur Tanguy, on est désolé pour les chaînes de l' »Anne-Louise », mais ce n’est pas de notre faute si votre bateau a failli partir sur les rochers, c’est pas la faute non plus aux coups de vent et à l’absence de môle-abri, c’est qu’il est trop gros vot’canot, il tire trop sur son corps-mort, fallait pas le changer, fallait garder l’ancien !!! Souliers vernis de m…(censuré) ! »
GUY : « Bientôt ils vont nous dire qu’on n’avait qu’à faire paysan ! Gaste, presque toute la flottille a été renouvelée en 5 ans, on a 7 nouveaux canots, le tien Jean, il monte à 6,49 tonneaux, le tien Mathurin il est à 6.17 tonneaux et le tien Yves, il fait 5.17 tonneaux… On devrait être fiers de nous, c’est la troisième génération de canots à Moguériec en 30 ans. Et à la place, on se réveille le matin en espérant qu’on n’a pas tout perdu, que la chaîne a tenu, que le canot flotte toujours ! On a commencé tout petit, on s’est payé des plus gros et maintenant encore des plus gros. On les ramassait à la grève à l’état d’épave au début, maintenant on se les paye à Roscoff, à Carantec, à Henvic… Des « pas rassurés » qu’ils font de nous, des « inquiets », des « p’tites gens ». Merde alors, on fait pas des plus gros pour faire bien, on met les gars à l’abri comme ça et on peut aller plus loin avec. C’est pour nourrir nos gosses qu’on fait tout ça, pour tenir debout… Merde alors ! Moi aussi je pétitionne, j’vais t’la signer sur l’heure ta feuille d’injustice ! »
MATHURIN : « Moi l’espérance, j’ai pu q’celle que j’ai mis sur le cul de mon canot ! Toi Guy, t’as vu juste quand t’as mis Notre-Dame dans le coup, des fois que la Vierge elle travaille un peu la tête des Ingénieurs et qu’ils écrivent de la générosité avec leurs porte-plumes… »
PIERRE : « Le pire dans tout ça, c’est qu’ils nous aiment pas, ils nous méprisent, on n’existe pas… Sauf pour les fêtes, là on vient nous acheter une langouste pour mettre sur la nappe blanche toute neuve. Ça fait bien pour la famille… Alors là le pêcheur il devient important là ! On lui parle comme à un Monsieur… Pis, ils ont le culot de nous dire que la langouste est chère, qu’elle est trop petite, qu’on est rentré tard, qu’elle sentait… Même l’aut’ jour, l’Ingénieur il a dit qu’il pouvait pas compter sur les Marins-Pêcheurs pour construire le môle-abri, on peut pas vous forcer à travailler qu’il a dit… Quel bigorneau çui-là ! »
On mérite ça les gars avec tout c’qu’on trime, les femmes elle s’raient fières, les gamins, ils s’raient bien habillés… Not’ vieux rêve à nous, pour dans longtemps, pour l’éternité et même après !
GABRIEL : « Ben comme le Ministère s’en fout et qu’ils ont dit qu’on pouvait continuer à rêver dans not’coin, Du Rusquec, il ressort un nouveau projet, le même qu’à Roscoff, qu’à Batz ou qu’à Sieck. Du solide et du pas cher ! Une structure en « V », 60 mètres de long, et surtout…2,50 mètres de large ! Moi j’suis dans la Commission Nautique et on a dit qu’il fallait qu’on puisse se croiser dessus avec nos paniers remplis de poissons, sinon à la queue leu-leu, la mer sera basse qu’on attendra encore pour débarquer ! »
JEAN-MARIE B. : »Et après, si le Ministère dit oui, qui c’est qui va l’entretenir la bête ? On n’a déjà pas de quoi la payer sans les subventions alors si les tempêtes d’hiver nous la dézinguent, on la redresse comment not’merveille ? Et pis, s’ils doivent le faire not’ môle-abri, qu’ils le finissent au moins avant les grandes-marées de Mars prochain… Jean, t’as qu’à mettre ta pétition au Ty Ruz , on va t’la signer, même les morts y f’ront une croix sur ton papier de misère ! »
4 Août 1901
30 Septembre 1901 : « Et de 3 !!! »
Le 30 Septembre 1901, un troisième projet voit le jour ! Nouveau siècle oblige… On le doit au talentueux Monsieur Guéguen, Conducteur Subdivisionnaire, ainsi qu’à la détermination de l’Ingénieur Ordinaire Léger… Ingénieur très ordinaire si l’on en croit l’estime qu’il semble porter aux Mogueriekiz : « on construit la cale-débarcadère sur le modèle des ouvrages établis à Batz ou à Sieck, mais vous ne me mettez pas les Marins-Pêcheurs de Moguériec dans les pattes ! »
« Je ne suis guère partisan de l’exécution des 30 premiers mètres de la cale par les Marins-Pêcheurs de Moguériec, que l’on ne pourrait contraindre à travailler, l’Etat s’exposant alors à devoir faire la tâche… »
Mais qui êtes vous Monsieur ? Des gars qui passent leur vie de chien en mer et que l’on ne peut contraindre à travailler ? C’est que vous ne savez pas y faire… Pas intérêt à traîner sur les dunes celui-là !
Le montant du projet a fondu comme un iceberg dans le Port de Moguériec, il n’est plus que de 2200 Francs… Voilà ce que c’est quand on travaille en local !
16 Septembre 1902 : le retour du persévérant Henri L’Estang du Rusquec !
Le 16 Septembre 1902, Henri L’Estang du Rusquec dépose l’avant-projet suggéré par l’Administration. Tout y est, plans, devis, descriptif, exposé des motifs… Un travail de pro ! Croisons les doigts !
L’exposé des motifs nous apprend qu’en 1902, le Port de Moguériec « compte une vingtaine de bateaux de pêche de 3 à 4 tonneaux, occupant environ 60 hommes ».
« La Commune s’engage par ailleurs à construire cet ouvrage elle-même sous la direction de son Maire si l’Etat veut bien après l’achèvement du travail lui donner une subvention de 800 euros égale au tiers de la dépense totale ».
« L’extrémité du débarcadère a été déterminé en tenant compte de ce que les bateaux calent 1.50 mètres au maximum et qu’ils partent du port et y rentrent habituellement au moment de la mi-marée. Quand à la largeur de 2,50 mètres en couronne, elle permettra aux pêcheurs de transporter leur poisson au moyen de paniers portés chacun par deux hommes. La jetée projetée présentera une longueur de 60 mètres. »
Déblais, maçonnerie, parements, tablettes de couronnement, pavage… le tout pour 2400 Francs !
10 Novembre 1902
2 Février 1903 : une réponse ministérielle à vous arracher les larmes des yeux…
Le 2 Février 1903, lentement le coupe-papier déchire le verso de l’enveloppe ministérielle qui vient de s’échouer avec volupté sur le bureau encombré du Préfet du Finistère… Le Directeur de Cabinet l’extrait avec fébrilité, le papier livre alors son terrible secret…
AVIS FAVORABLE !!!
A condition que la Commune s’engage à assurer exclusivement à ses frais l’entretien ultérieur de l’ouvrage et sous réserve de l’avis de la Commission Nautique…
Mais ne soyons pas rabats-joie, on va enfin l’avoir ce môle abri attendu depuis 1881 ! Près de 25 années de patience, d’espérances déçues, de combats…et combien de bandes molles lacérées par des vagues assassines se jetant à l’assaut de la flotille de Moguériec prisonnière d’un chateau sans herse ni pont-levis ?
15 Février 1903 : le Conseil Municipal de Sibiril s’engage…
Dans sa délibération du 15 Février 1903, « le Conseil Municipal, à l’unanimité de ses membres, prend l’engagement d’assurer exclusivement, à ses frais, l’entretien ultérieur de l’ouvrage. »
Rendez-vous aux prochaines tempêtes d’hiver, on en reparlera…
16 Mars 1903 : la Commission Nautique locale valide le projet !
Condition posée par le Ministère des Travaux Publics, il faut réunir une Commission Nautique. La date est prise par échange de télégrammes, elle se tiendra le 16 Mars 1903 à 13h00 au débarcadère de Moguériec…
Dans un arrêté du 13 Mars 1903, le Préfet du Finistère détermine la composition de la Commission Nautique. Parmi les « hommes forts » de Moguériec on trouve Monsieur Du Rusquec, Maire, Eugène Le Gall, Propriétaire d’usine à Moguériec, Joseph Salaün, Capitaine au Long Cours, Mathurin Béganton, Jean Tanguy, Jean Béganton, Gabriel Tanguy, tous patrons de bateaux à Sibiril… Avec un tel cortège, l’avis de la Commission Nautique ne pouvait qu’être positif !
2 Avril 1903 : les Marins-Pêcheurs de Moguériec ont beau être géniaux, c’est le Génie qui va construire le môle-abri…
Le 2 Avril 1903, le Colonel Boullet, Directeur du Génie adhère au projet de construction…
27 Avril 1903 : les travaux peuvent enfin commencer !!!
Dans un courrier adressé à au Préfet du Finistère le 27 Avril 1903, le Ministre des Travaux Publics « autorise l’exécution des travaux et alloue à la Commune de Sibiril une subvention égale au tiers de la dépense effective avec un maximum de 800 Francs. »
23 Février 1903
4 Mai 1903
4 Janvier 1904
On mérite ça les gars avec tout c’qu’on trime, les femmes elle s’raient fières, les gamins, ils s’raient bien habillés… Not’ vieux rêve à nous, pour dans longtemps, pour l’éternité et même après !
Et tandis que la mer monte et s’engouffre déjà au-delà de Roc’h Katell, ça cause fort sur le tout nouveau môle-abri… Il y a de la jasette dans l’air tandis que les solides Marins-Pêcheurs de Moguériec ramendent leurs filets de chanvre :
GABRIEL : » Hé les gars, on l’a not’ vieux rêve à nous ! Le v’là not’ débarcadère… »
GUY : « C’est pas qu’un débarcadère, c’te cale elle nous embarque pour du meilleur, c’est not’ victoire sur la misère ! Demain, elle s’ra déjà trop p’tite, faudra la rallonger… Les tempêtes vont la submerger, faudra la réhausser… C’est un port qu’on construit, c’est pas seulement un trou d’eau qu’on aménage ! Moi j’rêve d’une belle grande digue, une vraie, comme dans les grands ports. Une digue avec des quais maçonnés, pis des échelles, pis des organeaux… On s’mettrait tous à coupe les uns des autres pour se t’nir ensemble debout.. Et pis on aurait un phare, ce s’rait not’ lumière, un morceau d’nous qu’on laisserait derrière en partant et qui attendrait qu’on r’vienne ! »
PIERRE : » Et les femmes, elles passeraient la journée à scruter l’horizon et pis elles nous verraient arriver de loin… On reviendrait tous ensemble, on f’rait des tours dans la baie en attendant d’avoir de l’eau pour rentrer. Et on aurait des moteurs, et on mettrait des belles couleurs de peinture sur nos vieilles coques, on aurait les plus beaux bateaux et partout les gens diraient « ça, ce sont les Mogueriekiz » ! Les gamins descendraient en courant sur le quai et on y jetterait des tapis de langoustes à faire briller notre espérance ! »
JEAN-MARIE B. : » C’est nous qui aurions les meilleurs coins, on l’dirait à personne mais jusqu’aux Sept-Iles, la mer serait à nous ! Aujourd’hui, on dort sur la paille de nos canots semi-pontés mais demain ? Demain, on aura des 50 tonneaux, avec des couchettes, des viviers pour nos langoustes… C’est plus des paniers qu’on remplira, ce sont des charrettes, des camionnettes, et la pêche, not’ pêche, elle partira loin sur les routes après… P’t-être même qu’on aura not’ réserve à gasoil à nous, qu’on fabriquera nos casiers, que ça sentira le châtaigner sur c’te quai à s’en faire siffler les narines. Not’port, y s’ra dans les livres d’école et les gamins apprendront not’ histoire !
YVES : » Et les bistrots alors ? Y’en aura au moins trois ! Mets-nous une crêperie avec, et pis un hôtel, et pis un restaurant… L’hiver, on s’mettra à Naod-An-Neac’h et on plantera nos grappins au-dessus, dans le champ du Maner ! Et au fond de nous, on causera toujours à nos bateaux comme si c’étaient nos enfants… A la vie à la mort ! Moguériec, c’est not’ corps-mort, passe le temps, on revient toujours s’amarrer dedans ! »
Nous aurons des corbeilles pleines,
De roses noires pour tuer la haine,
Des territoires coulés dans nos veines,
Et des amours qui valent la peine…
Nous aurons tout ce qui nous manque,
Des feux d’argent aux portes des banques,
Des abattoirs de millionnaires,
Des réservoirs d’années lumière…
Et s’il n’y a pas de lune ?
Nous en ferons une…
D’après Richard Desjardins
Sources : Archives Départementales du Finistère
Dialogues : D’après des conversations familiales authentiques entendues par les « anciens » de Moguériec alors qu’ils n’avaient pas encore l’âge de naviguer…